Le point d’honneur de cette course à l’équipement des campagnes est la création des lavoirs, qui apportent le progrès de l’hygiène individuelle et participent à une meilleure organisation des lieux d’usage de l’eau. La santé publique est même considérée comme un facteur de progrès et d’évolution du pays, mission est donnée à l’école primaire élémentaire d’enseigner les vertus de la propreté.
Soucieuses de grandeur et aidées de finances confortables, grâce notamment à la vente des bois du “quart en réserve“ qui dégageait des sommes considérables, les communes cèdent à la tentation du beau. Les architectes départementaux sont chargés d’étudier des projets qui doivent satisfaire la volonté de prestige des édiles et flatter leur fierté. Les lavoirs et les fontaines partagent deux particularités : d’une part, ils participent à la célébration de la conquête et de la domestication de l’eau, d’autre part, leur emplacement ostentatoire au centre de la commune ou en bordure de la Grande Rue ou de la Rue Haute, nécessite un effort architectural particulier. Il faut que la bâtisse impressionne et qu’elle attise la jalousie des
communes environnantes. Le lavoir représente désormais les nouveaux pouvoirs politiques du maire et du conseil municipal ; il est indicateur de prospérité et de bonne santé financière communale. À son rôle utilitaire, le lavoir ajoute l’expression d’une politique nationale, dont la municipalité est le maillon local. Si tous les citoyens bénéficient des progrès scientifiques (hygiène), techniques (captage, construction) et de confort, c’est grâce à la volonté politique.
Des architectes meusiens de talent sont mis à contribution et quelques noms se taillent une solide réputation en matière de lavoirs : Oudet, Pernot, Lerouge, Guiot, Thiébaut…
Recourir aux services d’architectes et d’ingénieurs civils compétents constitue la garantie de la réussite esthétique et technique de l’ouvrage. Les architectes, formés pour la plupart à Paris, se plaisent à puiser aux sources de la Renaissance italienne, mais font surtout référence à l’Antiquité où l’on n’hésite pas à donner à ces petites constructions, des allures de temples ou de sanctuaires consacrant l’eau. L’Empire puise son inspiration dans la Rome impériale alors que les balbutiements de la République saluent l’héritage démocratique de la Grèce.
Vers 1810, au moment où Napoléon est hanté par l’idée impériale, il comprend que les architectes peuvent l’aider à affirmer sa puissance en élevant des édifices grandioses, offrant une admirable harmonie de proportions.
Le lavoir de Halles-sous-les- Côtes, dans le nord meusien, en est la meilleure illustration : son péristyle grec, aux lourds piliers doriques, semble tout droit échappé de la vallée des Temples d’Agrigente en Sicile ou de Paestum, près de Naples.
L’art égyptien, alors en vogue dans le beau monde parisien après la bataille des Pyramides en 1798 et les travaux de Champollion n’est pas oublié. La mission scientifique qui accompagne Bonaparte dans son expédition en Afrique, fit régner pendant quelques années la mode égyptienne. Les lauriers cueillis au pays des Pharaons inspireront la créativité des architectes et des ingénieurs civils.
A Mauvages, Théodore Oudet en 1831, profita de cette vague d’égyptomanie pour édifier le lavoir en hémicycle aux chapiteaux papyriformes, surmontés de coquilles marines évoquant le symbolisme propre à l’eau. La corniche est frappée de l’aigle, emblème impérial de Napoléon. Ses ailes déployées évoquent les lignes brisées de l’éclair, le feu céleste d’une puissance immense. Sur l’entablement, dans l’entrecolonnement, on peut lire trois inscriptions, dont l’une magnifie et vénère le précieux liquide enfin domestiqué : “Bel élément, source limpide, que l’art conduisit en ces lieux, porte notre hommage et nos vœux, vers ta nymphe timide“. La couverture en zinc, imitant les feuilles de plomb en usage sur les temples antiques, est portée par un modèle audacieux de charpente cintrée, à étrésillons et clavettes, à la Philibert Delorme. La statue centrale dite du Déo, est une copie d’Antinoüs, jeune grec d’une grande beauté, favori de l’empereur Hadrien qui a inspiré de nombreuses sculptures antiques, dont celles du Capitole de Rome. La statue est probablement empruntée à deux autres édifices parisiens : le péristyle de l’hôtel de Beauharnais et la fontaine égyptienne de Bralle, rue de Sèvres.
Le lavoir d’Houdelaincourt étonne tout autant. L’édifice est flanqué de deux gigantesques tritons grimaçants, s’enroulant autour d’un trident, le tout sur fond de décor aquatique. Le trident est l’attribut de Poséidon, maître de l’élément marin mais aussi des eaux douces, des nymphes et des espèces maléfiques qui peuplent les rivières et les sources ; il concourt en dissipant l’humidité, à la fertilité des champs car il est souvent considéré comme une divinité agraire.
Cette fontaine-temple, figure en bonne place près de l’ancienne Voie royale conduisant à Nancy. Le plan en
hémicycle, les murs courbes en pierre de taille finement appareillée, le décor emprunté aux éléments aquatiques
de la mythologie gréco-romaine, font de ce temple du linge un petit chef-d’œuvre qui a ses références dans
l’architecture ostentatoire des théâtres néo-classiques.
En 1838, Théodore Oudet éleva le lavoir et la Grande fontaine de Lacroix-sur-Meuse. L’unique baie centrale est flanquée de deux statues anthropomorphes en pierre d’Euville, garantes et protectrices d’une eau claire, abondante, exempte de maladies… : à gauche, Amphithrite en cariatide, épouse de Poséidon, dieu grec de l’élément aquatique ; à droite, Neptune en atlante, dieu romain de la mer, identifié à Poséidon.
Le lavoir d’Hattonchâtel, un modèle d’architecture de la reconstruction, au style très particulier, a été construit en 1921 sur les ruines de l’ancienne forteresse fondée en 859 par Hatton, évêque de Verdun, entièrement détruite au moment de la Grande Guerre. Heureusement, Miss Belle Skinner, une richissime Américaine tomba éperdument amoureuse du site et le destin de ce village pittoresque bascula. L’enfant du Massachusetts dépensa sans compter pour que Hattonchâtel retrouve sa splendeur d’antan ; elle fit reconstruire le château, la mairie-école et le lavoir.
L’édifice est d’inspiration médiévale, la façade arrière comporte des chapiteaux ornés de style néo-roman. Ici, l’architecte a voulu reproduire la figure animalière ou humaine traduite de façon si naïve, qu’il en arrive à des déformations monstrueuses. Pour améliorer leur confort, les lavandières disposaient d’un bassin de lavage surélevé, autour duquel elles lessivaient debout.
Lire le suite: Les lavoir Meusiens – parti III
Texte avec un grand merci à: Jean-Pierre WIECZOREK, C.A.U.E. de la Meuse
REFLET DE LA MEMOIRE DU MONDE RURAL
Texte integral: reflet de la memoire
Ce site web utilise des cookies. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez notre utilisation des cookies.