Grace à Philippe VOLUER, Nicolas LEMMER et Alain CESARINI
Cette année, notre pays célèbre la loi de Séparation entre les Eglises et l'Etat, promulguée le 9 décembre 1905. Stenay - et la France- vécut alors une longue période de troubles entre Républicains et Catholiques. Mais la loi de Séparation fut précédée de nombreux évènements et la population connut de longues tensions bien avant promulgation de la loi. La ville était alors littéralement coupée en deux et les habitants participaient régulièrement à de nombreuses manifestations. Ces conflits durèrent pendant plusieurs années et ne cessèrent vraiment qu'avec la guerre.
L'influence du parti républicain était importante à Stenay depuis environ 1880, et elle s'amplifia avec les lois Jules Ferry sur l'enseignement, qui laïcisèrent progressivement les écoles de Stenay jusqu'en 1904 (départ des sœurs le 30 juillet). La célèbre loi de 1901 sur les associations prépara également la Séparation. A partir du début du siècle, la lutte entre le maire et le curé s'amplifia, avec par exemple l'interdiction de la procession de la Fête-Dieu, " pour éviter une contre-manifestation " ; l'arrêté municipal du 14 juin 1903 fut même proclamé à son de tambour dans toute la ville. En 1904, les querelles devinrent permanentes contre les écoles libres, et le maire tenta même d'empêcher la pose d'une ligne téléphonique au presbytère ; il soutint aussi de nombreuses enquêtes sur les associations et les activités catholiques de la ville. Le 6 janvier, le maire tenta d'interdire une messe dite à l'intérieur du Cercle Catholique, considéré comme chapelle privée, mais les offices continuèrent. Le 27 février, il essaya également, sans succès, de fermer la chapelle de Cervisy où se déroulèrent pendant huit jours les cérémonies du Jubilé.
Les élections municipales de 1904 confirmèrent Jules Drappier, industriel et banquier âgé de 64 ans, qui siégeait au conseil depuis 1874 ; il fut maire de 1883 à 1887, puis à partir de 1892. Il fut donc réélu le 15 mai 1904, avec Edouard Poterlot (agent général d'assurances, âgé de 60 ans) comme premier adjoint ; la famille Drappier tenait en fait la mairie depuis plus de 50 ans. Mais un incident avec une partie du conseil municipal le 4 septembre entraîna la démission de Drappier le 10, et il fut remplacé par Poterlot, élu maire le 27 novembre suivant. Les séances suivantes furent souvent houleuses. Le nouveau maire était secondé dans les affaires religieuses par Henri Primard, conducteur des Ponts et Chaussées (qui deviendra deuxième adjoint en 1908). Ils avaient en face d'eux un curé très actif depuis son installation à Stenay en 1890. Né à Souilly en 1841, il portait des titres prestigieux comme prélat de la Maison de sa Sainteté (1906), protonotaire apostolique (1908). On lui doit la construction du pensionnat Sainte-Marie, d'une maison d'œuvre, d'un gymnase…
Localement, un autre élément de tension vint s'ajouter à une situation délicate : la fermeture temporaire des Aciéries de la Meuse. Là aussi, le maire fut très dur avec les grévistes, interdisant même toute manifestation sur la voie publique (annonce du 31 mars 1905). La loi sur les pompes funèbres (votée le 28 décembre 1901) fut appliquée à Stenay en mai 1905 : les enterrements furent dès lors effectués par la commune (qui reprit le corbillard) et non plus par la Fabrique . Le mois suivant (5 février) se déroula à Stenay l'inventaire des biens conservés dans l'église Saint-Grégoire, devant une centaine de personnes silencieuses.
La loi fut adoptée et promulguée le 9 décembre 1905. Elle se voulait une loi de tolérance, établissant la liberté de conscience et une indépendance réciproque entre toutes les Eglises (Eglise catholique, cultes réformés, judaïsme) et l'Etat. La loi créait entre autres des associations cultuelles pour gérer les biens religieux, mais ces associations furent interdites par le Saint-Siège. Conséquence : les biens de la paroisse de Stenay furent automatiquement repris par la commune (en particulier le presbytère). D'autre part, la religion n'effectuait plus aucun service public (enterrements, sonnerie de cloches…). Dès le 3 février 1906, le conseil municipal décida de ne pas aider financièrement le curé ni le culte à Stenay. Suite à la loi du 2 janvier 1907 sur les presbytères, le bâtiment fut repris par la commune le 12 janvier. Le 26 janvier, le maire obligea aussi le curé à n'utiliser qu'une seule sonnerie de cloches pour toutes les cérémonies religieuses, et tout citoyen fut autorisé à procéder lui-même à des sonneries pour baptêmes, mariages et enterrements religieux ou civils.
Le 11 mai 1907 le maire fit fermer deux des trois portes de l'église, puis il refusa de vendre dans un premier temps au curé une concession dans le cimetière (de crainte de voir s'y dérouler des manifestations religieuses).
Mgr Mangin fut chassé de l'église paroissiale le 13 août, jour de marché, dès la messe de 5h30, et remplacé aussitôt, sous la protection des gendarmes, par l'" abbé Constantin ", mis en place par le maire et l'association cultuelle. La messe du 15 août fut célébrée depuis une fenêtre du nouveau presbytère, sur la place de Justice devant 600 personnes. Le maire réquisitionna l'armée mais le préfet n'envoya que quatre gendarmes, au lieu des dix demandés par le maire. Les vêpres furent célébrées dans le parc du château des Tilleuls. Le 18 août, la population catholique se massa devant l'église pour empêcher le prêtre " librement choisi " d'entrer dans l'église ; le maire fit à nouveau appel à l'armée, en vain. Enfin, un jugement en référé du tribunal de Montmédy, le 24 août, demanda au maire de rendre les clés de l'église au titulaire. Ce jugement fait encore aujourd'hui référence en cas d'occupation d'église. Une grande manifestation catholique fut alors organisée dans toute la ville le lendemain, veille de la fête patronale ; l'armée se tint prête à intervenir sur ordre du préfet mais resta dans sa caserne. En effet, l'abbé schismatique Constantin fut entre temps démasqué : c'était en fait un faux prêtre et un repris de justice qui quitta précipitamment Stenay… Enfin, le 29 août 1907, la jouissance de l'église fut officiellement mais inutilement attribuée par le conseil municipal à une " association cultuelle de la paroisse catholique de Stenay ", représentée par son président, Ernest Harteiser (menuisier de son état). Lors de la même séance fut adopté le changement de noms de nombreuses rues : des héros locaux ou nationaux, y compris catholiques (Jeanne d'Arc par exemple) apparurent ainsi à Stenay. Pendant cette période de troubles, les cérémonies religieuses furent célébrées à Stenay par abbé HAZARD ; c'est ainsi que les baptêmes eurent lieu dans l'église paroissiale jusqu'au 19 août, puis à Cervisy les 24 août et 25 août ; avec retour à Saint-Grégoire le même jour. Par contre, plusieurs enterrements furent célébrés par Constantin.
Le 13 juin 1908, le maire fit apposer sur l'église une plaque indiquant "aux habitants que l'édifice a été mis gratuitement à leur disposition". Il répliquait ainsi à la construction par Mgr Mangin d'un nouvel édifice religieux à Stenay : la chapelle du Sacré-Cœur, en face du cimetière, dont la première pierre fut posée le 12 avril et qui fut inaugurée le 25 octobre. Le maire tenta d'y interdire toute manifestation et toute cérémonie, en vain. En fait, cette chapelle, considérée comme " chapelle de secours " au cas où le curé serait à nouveau interdit de culte dans l'église, ne servit pratiquement qu'aux réunions des hommes de la confrérie du Sacré-Coeur.
Puis un arrêté du 28 juillet 1908 spécifia l'interdiction de toute manifestation musicale ou gymnique sans autorisation de maire ; l'arrêté fut repris le 11 et le 13 août 1909 suivant : la paroisse possédait en effet sa propre musique et sa propre société de gymnastique. Le 5 février 1909 et en mai 1910, le maire rappela un arrêté préfectoral de 1894 interdisant toute exposition de drapeaux autres que les drapeaux nationaux et ceux autorisés : cette fois-ci, c'étaient les processions religieuses qui étaient visées, avec leurs bannières. Le 8 août 1909, il rappela encore l'interdiction de tout attroupement, rassemblement, défilé… Poterlot, pratiquement impuissant devant le curé et les fidèles, essayait en fait d'appliquer strictement la loi.
Les 12 mai 1912 se déroulèrent de nouvelles élections municipales : Poterlot et Primard ne furent pas réélus, et Jules Drappier retrouva son siège de maire. La situation politique locale redevint enfin normale, même si le maire conservait ses convictions républicaines. Plus diplomate que Poterlot, il évita avec précaution toute lutte ouverte avec le curé. Il n'y eut pas véritablement de " guerre religieuse " à Stenay pendant cette période de plus de dix ans, mais plutôt de fréquentes escarmouches entres les deux parties. Les relations entre l'Etat français et Rome ne furent seulement normalisées qu'en 1923 ; par contre, les trois départements d'Alsace et de Moselle restèrent dépendants du Concordat de 1801.
Biographie:
Jean Pierre Elzire MANGIN est né le 1er septembre 1841 à Souilly
Fils de Joseph, cordonnier et de MARAT Marguerite, il se consacre à la vie religieuse.
Ordonné prêtre, le 24 septembre 1864.
Vicaire à la cathédrale de Verdun.
Curé à Dombasles-en-Argonne en 1869.
Père supérieur au petit séminaire de Verdun.
Curé de Longeville en 1877.
Curé doyen de Stenay, le 1er novembre 1890.
Nommé Prélat de Sa Sainteté le pape Pie X, en 1906.
Protonotaire apostolique, le 17 décembre 1908
Doté d'une foi ardente et d'un grand zèle apostolique, Mgr MANGIN est un grand constructeur. Il participe activement à l'embellissement de l'église paroissiale. Il fait construire, en 1898, la Maison d'Œuvres, à la place d'une vieille bâtisse détruite par le feu. Cette demeure allait devenir le pensionnat Sainte-Marie en 1905.
Un peu plus tard, il fait construire Saint-Ernest et les immeubles de la salle Jeanne d'Arc.
Prêtre attentif, il crée pour sa paroisse de nombreuses associations et confréries. Il est également le fondateur du premier bulletin paroissial de tout l'évêché de Verdun, l'Echo des Familles, source inépuisable de renseignements sur l'histoire et la vie quotidienne de Stenay entre 1900 et 1914.
Doté d'une forte personnalité, Mgr MANGIN s'oppose dès son arrivée à Stenay, en 1890, à la politique radicale de monsieur Édouard POTERLOT, maire du village.
Chassé de l'église Saint-Grégoire par la municipalité, après les luttes consécutives à la loi de séparation de l'Église et de l'État, il célèbre la messe depuis la fenêtre de son nouveau presbytère près de la place d'Armes.
En 1908, il fait construire une chapelle privée, la chapelle du Sacré-Cœur, en face du cimetière communal dans laquelle il célèbre dorénavant son office.
Du 19 au 25 août 1914, Mgr MANGIN accueille les réfugiés belges qui fuient devant les hordes allemandes bien que son pèlerinage à Lourdes l'ait fortement fatigué.
Le 27 août, il est arrêté, puis libéré le lendemain pour servir d'interlocuteur entre l'occupant et la population.
Nommé maire en remplacement d'Albert TOUSSAINT, qui a été gravement blessé en servant de bouclier humain devant le pont de la Redoute, il participe aux réquisitions de l'ennemi et assiste, impuissant, au pillage de Stenay.
Le 30 août, il est pris en otage et placé en avant du chantier de reconstruction du pont de la redoute. Très affaibli, Mgr MANGIN tombe malade, le 2 septembre, et ne quittera plus sa chambre jusqu'à sa mort, le 9 septembre 1914.
Le docteur SAUCE qui le soigne, conclut à un décès par suite de commotions consécutives à un surmenage extrême.